Description
C’est autour de deux personnalités hétéroclites et pétries de talent que se monte le premier Martin Circus à la fin des années 60: Bob Brault, bassiste et compositeur, et Gérard Pisani, parolier et multi cuivres. Déconnectés de la scène yéyé, évoluant entre Paris et Province, ils trouvent un concept: faire chanter en français leurs amis rockers / free jazz Patrick Dietsch et Paul-Jean Borowsky. Alors que les groupes de leur génération chantent en anglais, Pisani francise les textes, qu’il truffe de fantaisie enflammée, de références aux poètes maudits et à la contreculture, convoquant Barbe Bleue, Astérix, Robert Desnos et Frank Zappa. Martin Circus est vite remarqué et joue régulièrement au club branché du VIè arrondissement, le Rock’n’Roll Circus, qui donne son nom au premier album. Mais le groupe explose en vol. Dietsch part aux États-Unis, Borowsky se dérobe, suivi par le batteur JF Leroy.
Brault et Pisani rassemblent un nouveau band. Dans la ferme de son pote Alan Jack, toujours remplie de musiciens de passage, Bob recrute Alain Pewzner (guitare) et René Guérin (batterie). Il leur manque un bon joueur d’orgue. Ça tombe bien il y en a un super au sein de Vogue, label où ils sont eux-mêmes signés: Sylvain Pauchard. Ce dernier pose une condition: venir avec son pote Gérard Blanc (ils sont dans le même groupe, Balthazar). Il n’y a pas vraiment besoin de lui, Martin a déjà son guitariste et tout le monde chante. Néanmoins, au fil des séances, le jeune Gérard s’impose. Il a une grande liberté de chant, une émotion totalement sincère qui donne aux paroles déclamatoires de Pisani l’authenticité que nul autre n’aurait su trouver.
C’est ce groupe reformé qui donne naissance à un deuxième album explosif, rempli de trouvailles fulgurantes et lyrics baroques. « Acte II » a été validé par le label grâce à un tube inattendu. Destiné à être la face B d’un morceau nul créé par impertinence pour faire enrager les gens de Vogue, «Je m’éclate au Sénégal» surprend tout le monde en étant adopté par les radios en vue. Un rythme décalé, des paroles burlesques, un scopitone en costumes cocasses, une apparition dans le film « Les bidasses en folie », le Circus prend la voie dangereuse d’un groupe rigolo. Mais ceux qui les voient sur scène prennent en gueule un Circus dangereux, violent. On y hurle, on met le spectateur face à un miroir, les paroles soulèvent des questions, les musiciens vibrent sur le fil, une mauvaise ambiance les traverse parfois et apporte de l’électricité supplémentaire. Cinquante ans plus tard, «Je m’éclate au Sénégal» écrase de son succès tout ce que le groupe a produit de grandiose.
Avec la gloire jaillissent, comme souvent, les problèmes d’argent. Ils étaient sous le régime du «on partage tout» mais les gros bénéfices du «Sénégal» sèment la zizanie. Ses auteurs (Brault et Pisani) refusent de partager. Ils seront progressivement éloignés du groupe qu’ils ont eux-mêmes fondé. Pisani s’en va le premier. Brault, principal compositeur, reste pour l’album suivant, « Acte III ». Le psychédélisme de « Acte II » est effacé au profit d’une inspiration marquée par des artistes US comme Paul Revere & The Raiders ou Stevie Wonder. Parallèlement, le groupe ne cesse de sortir en 45-tours des singles inédits, comme c’était alors la coutume. En 1973 les Martin sont invités à rejoindre l’immense casting de la comédie musicale « La révolution française » (aux côtés des jeunes Bashung, Balavoine, Charlots…). Ils produisent les meilleurs morceaux du disque. On les entend sur le générique de la série « À vous de jouer Milord » (écrit avec François de Roubaix), premier exploit d’un cortège de rengaines pour la télé, la radio ou la publicité. En interne les tensions sont trop fortes et Bob Brault part à son tour. Ne restent que les derniers engagés, Gérard Blanc, René Guérin, Sylvain Pauchard et Alain Pewzner, qui vont devenir le visage du groupe pour les années à suivre.
Dans l’ombre, depuis le début du groupe, un homme tire toutes les ficelles: le manager et directeur artistique Gérard Hugé. Il travaille à la fois pour le groupe et le label, ce qui n’est jamais une bonne nouvelle. La seule chose qui l’intéresse: que sortent des disques, peu importe qui joue dessus. Au milieu des années 70, il dépose le nom Martin Circus. Il a les pleins pouvoirs. Décrétant que le groupe n’a plus ni parolier ni compositeur, il lui impose de se lancer dans une série d’adaptations de hits américains 60s. À la clé, un jackpot: «Marylène», énorme succès qui relance la machine. Les Martin adoptent un nouveau look, costumes brillants façon Courrège, platform boots, pas de danse créés par le farfelu Amadeo. Ils portent tous les attributs de la mode disco qui s’apprête à déferler – mais leur musique mêle doo-wop et rockabilly au glam rock et au funk. Quand enfin ils se mettent au disco, c’est via un film ringard dans lequel ils tiennent la vedette: «Les bidasses en vadrouille», prévu pour les Charlots finalement jugés has-been. Ils composent la BO avec l’arrangeur Gilles Tinayre à la façon de groupes disco français comme Space et Voyage. Et sans le savoir, sortent un futur hit underground: l’épique «Disco circus», long de 14 minutes. Le dj et remixeur François Kevorkian le sort sur le label américain Prelude dans une version rééditée par ses soins, ramenée à 7 minutes et contenant tous les morceaux de bravoure de l’original. C’est un carton dans les clubs de New York et Chicago, qui marque durablement tous ceux qui l’ont entendu. Au moins 40 titres vont le sampler au cours des décennies suivantes, et des dizaines de bootlegs et de compilations prestigieuses vont l’exhumer (Laurent Garnier, Carl Craig, Juan Atkins, Joey Negro, The Beatnuts, The Rapture, ou encore Danny Krivit dans le film sur la culture DJ « Maestro »).
Conséquemment, Léon Cabat, président de Vogue, et son lieutenant Gérard Hugé, nourrissent des rêves de grandeur pour leur groupe. Ils lui commandent un nouvel album disco en anglais. René Guérin ayant quitté le navire, ils ne sont plus que trois pour porter ce projet lourdement orienté Bee Gees / Village People. Par malheur, la vague disco est en train de s’écraser. On entre dans les années 80 et les Martin Circus changent une fois de plus de look et de style. Inspirés par la dance froide de Devo, la synthpop des Buggles et le postpunk de Plastic Bertrand, les trois bricolent un album archi moderne, dans lequel Gérard Pisani fait son retour en tant que parolier et saxophoniste. Toujours aussi inspiré, il rédige des textes punchlines, relatant parfois en quelques mots la moelle d’une décennie qui s’ouvre. «Bains Douches» en est un brillant exemple. Malgré cette clairvoyance, l’album « De sang froid » est un échec cinglant et signe le début de la fin du groupe. Gérard, Sylvain et Alain vont commencer à s’orienter vers des carrières de musiciens, d’arrangeurs, d’auteurs.
Il n’y aura plus d’album du groupe, mais ils se retrouvent en studio de temps en temps, juste pour voir si ça intéresse quelqu’un. En 1983, c’est le 45-tours «Solange», qui propose en face B un titre italo-disco digital («J’t’ai vu dans le canoë») aux arrangements synthétiques qui empiètent sur la future scène house. Un autre single orphelin en 1985, et encore une face B («Pourquoi tu m’lâches pas») qui rivalise avec les hits du moment, comme ceux de Sade ou Matt Bianco. Après, la carrière solo de Gérard Blanc explose grâce à «Une autre histoire», et là, malgré quelques tentatives de revival sans lui, c’est vraiment la fin du groupe. Tout au long de cette carrière en dents de scie, un point culmine: au-delà des apparences, les musiciens de Martin Circus ne se sont jamais laissé aller à la facilité. Leur jeu, leurs arrangements sont constamment imparables et léchés. Un attachement à la qualité qui force l’admiration. Comme disait Coco Chanel, «la mode se démode, le style jamais.»