V/A
A MOI LA LIBERTE: EARLY ELECTRONIC RAI ALGERIE 1983-1990
LP

25,00

SORTIE LE 28.04.2023

En stock

voir la disponibilité en boutique

Description

Raï Canal historique

Fouillant au plus profond des entrailles du raï, voilà une compilation qui évoque ses folles années et s’entend comme une cure de jouvence pour le genre oranais, version sulfureuse et souterraine… Très belle idée, donc, de puiser dans des cassettes introuvables pour confirmer que c’est dans les vieilles marmites oranaises que l’on trouve le bon raï. Il y a à peine cinquante ans, personne n’aurait parié un centime sur un genre condamné à tourner en rond en Oranie sa région d’origine, tapi au fond d’une de ces nombreuses discothèques tapissant la corniche oranaise. Dans ces lieux de vie underground, des chanteurs à orchestration minimaliste, faute d’espace, faisaient pleurer dans leur bière (ou rigoler dans leur Whisky…sec) un public toujours excité par des chansons transgressives, sonnant comme un défi à l’ordre moral et bien-pensant, sur fond de trompette, guitare électrique, accordéon et percussions diverses. Au cours de ces années pré et post-indépendance (1950-1970), le raï s’est urbanisé grâce à une génération qui a grandi entre bitume et béton, au son de la flûte traditionnelle, mais aussi et surtout à l’écoute du twist, de la variété française et du rock.
Ils se nommaient Boutaïba S’ghir, Messaoud Bellemou, Groupe El Azhar, Younès Benfissa ou Zergui et ils légueront aux chebs qui ont pris la suite leur bouquet de chants qui vont retrouver une seconde jeunesse. Oran, la capitale de l’Ouest algérien, en sera le centre névralgique.

Dominée à l’ouest par la montagne pelée de l’Aïdour, avec un pied sur une magnifique baie ouverte et un autre sur le profond ravin d’un oued depuis longtemps desséché et recouvert par des immeubles, Oran est certainement la ville la plus européenne d’Algérie. Et cela, en dépit de sa casbah, son sanctuaire édifié en 1793 sous le règne du Bey Othmane le borgne et dédié à Sidi El Houari, saint patron de la ville, souvent louangé dans la chanson raï et sa mosquée du Pacha, datant du XVIIIème siècle et bâtie à la mémoire des expulsés d’Espagne en 1492. C’est bien le moindre quand on sait qu’Oran, anciennement connue sous le nom berbère d’Ifri (la caverne), a été conçue en 903, sous le nom de Wahrane (les lions en berbère) par des marins andalous. Mais ce qui saute le plus aux yeux, ce sont les sites chrétiens, dont beaucoup ont été légués par les Espagnols qui ont occupé, dès le début du XVIIème, la cité pendant deux siècles. Citons l’église Saint-Louis, la cathédrale du Sacré Cœur ou la chapelle de la Vierge. Oran a la chance d’avoir la mer, ici d’un bleu plus intense qu’ailleurs, et des forêts de pins alentour et au-dessus, du côté de Santa Cruz. Bref, elle est riche d’influences hispaniques, andalouses, turques, arabo-berbères et françaises.

Ce cosmopolitisme a forgé son caractère le plus souvent enjoué. A Oran, on a toujours pris l’habitude de veiller et cela continue encore et encore. Les promenades sur le boulevard de l’ALN (ex-Front de mer) sont interminables et ne lassent pas les yeux braqués sur le port. Un peu plus tard, certains se dirigent vers le Théâtre de verdure, rebaptisé Cheb Hasni, du nom du créateur du raï love, assassiné le 29 septembre 1994. D’autres investissent les restaurants, surtout ceux qui excellent dans le poisson, avant d’aller se défouler sur la piste de danse d’un de ces nombreux clubs ayant pignon sur corniche. Les plus fameux ont pour nom « Le Florida » et « Le Dauphin » et leur nombre a augmenté ces dernières années, bien qu’Oran ait été, à un moment, touchée à son tour par des actes de violence. Les cabarets, où ont débuté Khaled, Cheb Mami, Fadéla et Sahraoui, Houari Benchenet ou Cheb Hindi demeurent l’habitat naturel du raï et constituent un incroyable vivier de talents.
Il ne faut pas croire cependant qu’Oran n’a pas souffert de sa réputation frivole et du mépris affiché à son égard par le reste de l’Algérie. Mais ses habitants se rassurent en moquant tous ces Algérois ou Constantinois qui débarquent le week-end sur les plages pour draguer les « petitates », ces filles dites faciles (on trouve même des étudiantes parmi elles), souvent en quête d’un beggar (littéralement : vacher, nouveau riche frimant dans les boîtes avec son portable et ses grosses liasses de billets). Quelques-uns viennent aussi pour approcher une de ces mariquitas (folles outrageusement maquillées), qui hantent le front de mer.
Le berceau géographique du raï, où Johnny Hallyday (avant lui, il y a eu Louis Armstrong et Joséphine Baker) avait donné un concert en 1966 au Casino, a toujours été un lieu d’encanaillement à portée de toutes les bourses. Le plaisir de la chair et de l’enivrement qui figure au programme de nombreuses chansons raï n’est pas une légende et à Oran, on se délecte toujours autant des amours illégitimes.

Avant de devenir un phénomène musical internationalisé, le raï a d’abord été l’expression d’un comportement social et une façon d’être. Il irrite, enthousiasme, séduit, mais ne laisse personne indifférent ! Surtout pas certains milieux intellectuels, politiques et religieux qui ont toujours clamé leur hostilité face à ce qu’ils considèrent comme un vulgaire et trivial sous-produit culturel. Présumé né en 1920 dans les plaines de l’Oranie, le mouvement a pris de l’ampleur dans les années 1940-1950, années de tous les défis, marquées par l’apparition des cheikhate (pluriel féminin de cheikha, équivalent au masculin cheikh), dont la regrettée Rimitti fut la figure emblématique, qui vaporiseront des airs bourrés d’allusions fines et coquines dans les bordels, les bastringues de seconde zone et les soirées privées qui prennent quelquefois des allures de saturnales. Le genre sera modernisé, dans les années 1960 et 1970, par des artistes comme Blaoui Houari, Ahmed Wahby, Messaoud Bellemou, Bouteldja ou Ahmed Saber. Cependant, côté arrangements et architecture musicale, il manquait de profondeur et de consistance. Un artiste majeur de la scène oranaise va le parer d’un habillage digne de son statut : Rachid Baba Ahmed, né le 20 août 1946 à Tlemcen, ville bourgeoise dépositaire d’un art andalou, le « gharnati », bien structuré et soigneux dans ses mélodies. Son père, très aisé matériellement l’était aussi au niveau artistique, lui qui jouait du « rebab » (violon traditionnel) au sein du meilleur orchestre de la ville dirigé par Larbi Bensari.

Rachid en gardera un souvenir précieux mais, ado, il préférait le rock et le twist. Au début des années 1960, au moment où dans toute l’Algérie, des groupes au nom souvent américanisé mettent le feu sur les pistes de danse des complexes touristiques naissants, il s’achète une guitare et, secondé par son frère Fethi, il reproduit des standards sur des paroles chantées en arabe. Le succès pour les deux chevelus viendra en 1972 sur la foi d’un clip réalisé par la station télé d’Oran où on les voit chevaucher de grosses motos. Les deux frères sentant se lever le vent du raï, dans lequel ils ne s’identifiaient pas au départ, décident d’ouvrir un studio très sophistiqué, le Rallye, en référence à l’amour porté par Rachid aux courses automobiles, et prendra en mains les destinées de divers interprètes comme Fadéla, Khaled, Benchenet, Sahraoui ou Djalal. D’abord méfiants, les producteurs et éditeurs locaux finiront par multiplier les rendez-vous pour leurs poulains. Rachid, outre sa touche personnelle très convaincante, a mis au centre du jeu le synthé, enrichi par la présence de guitares acoustiques ou électriques et de boîtes à rythmes, et introduit, sous l’influence revendiquée de Jean-Michel Jarre, les délires électroniques. Le prodige des consoles sera enfin salué comme un génie des manettes et du concept studio. Il enchaîne les hits, les clips et les émissions de variétés à succès telles que “Top Raï” ou “Wach Raïkoum” (Quel est votre point de vue). Connu également pour ses tenues militaires, ses casquettes variées et ses excès de vitesse à bord de son 4×4, Rachid sera assassiné par balles, à Oran le 15 février. Fort heureusement pour lui, il aura eu le temps de voir triompher ses protégés et de mesurer sa contribution lorsque, au cours des années 1980, la bombe raï éclate véritablement et déferle, tel un impressionnant raz de marée, sur les consciences. Son armada de chanteurs, baptisés « cheb » (jeune), va bouleverser radicalement l’échiquier musical et ébranler sérieusement les fondements de la vieille aristocratie culturelle dont l’une des « tâches » les plus redoutables a été de dévaloriser les modes d’expression populaire ou d’essayer d’en interdire la manifestation.

« Vivre et laisser vivre », son crédo impatient, véhiculé par des centaines de milliers de cassettes a fait plus que séduire : il a conquis toute une jeunesse, majoritaire numériquement mais exclue socialement, coincée entre le désœuvrement, le chauvinisme des stades, le jargon patriotique des médias, le bar, la mosquée et un marché de loisirs pratiquement inexistant.

Le succès du raï a été si foudroyant qu’en 1985 (présence au Festival de la jeunesse à Alger et tenue d’un premier festival raï à Oran), le pouvoir algérien s’empresse de le « nationaliser », tout en appelant à sa « normalisation » (entendez « javellisation » des paroles), et de le déclarer « partie intégrante du patrimoine national ». Près d’un an plus tard, le raï fait son entrée en France à travers deux festivals, l’un à Bobigny et à l’autre La Villette, qui rassemblent tous les grands noms, anciens comme nouveaux, de la chanson raï et attirent principalement un public de « blédards » (immigrés d’origine maghrébine)nostalgiques, plus quelques curieux. Ainsi, pendant quelque temps en France (au Maghreb, les marchands de cassettes sont dévalisés régulièrement), le raï ne suscitera pas d’engouement autre que médiatique (ou sociologique), même si quelques labels français oseront s’investir dans la reconnaissance de cette musique porteuse d’un nouvel élan au point de séduire et conquérir d’autres villes et régions algériennes et marocaines également. Plus tard, le style oranais connaîtra une reconnaissance internationale mais s’il gagne en technicité, il perd en feeling. Fort heureusement, le canal historique, celui décliné dans les tripots et les discothèques survivra au raï aseptisé, dans une ambiance sexe, alcool et raï ‘n roll.
Fin des années 1970, c’est Chaba Fadéla, née en 1962 et très vite remarquée par son rôle de garce dans le téléfilm « Le gaucher », qui ouvrira la première voix au raï électrique. Elle est alors âgée de 17 ans et elle bravera l’interdiction de se produire dans les cabarets. L’ancienne choriste de Boutaïba Sghir sera accompagnée par le fameux trompettiste Messaoud Bellemou. Dans les années 1990, en duo avec son mari d’alors, Mohamed Sahraoui, elle fera même carrière à l’étranger. Elle a fait partie de la génération formée par Khaled, Mami, Cheb Hindi ou Benchenet

Ce dernier est né le 25 mai 1960 à Oran au sein d’une famille aussi modeste que nombreuse. Influencé par Blaoui Houari, Ahmed Wahby, Ahmed Saber et Ben Zerga, les grands ténors de la chanson oranaise, annonciateurs du raï moderne, Benchenet a effectué ses premiers pas musicaux en 1975. L’ancien élève du Collège d’enseignement moyen Ibn Khaldoun, spécialiste dans le « civil » de la construction métallique, a tout d’abord testé ses qualités de musicien et d’interprète auprès de ses copains du quartier du Plateau, avant de se lancer à corps perdu dans l’animation des fêtes de mariages et de circoncisions. Ses attitudes scéniques et son jeu d’orgue subtil sont appréciés et lui font décrocher un bon nombre de contrats.

En 1977, il s’est fait remarqué au cours d’une soirée par Belkacem Bouteldja, dit « Kacimo », la star absolue du pop-raï de l’époque, qui le laisse chanter de temps en temps à sa place. La voix claire et douce de Benchenet surprend agréablement l’auditoire et lui vaut d’être repéré par Abdelkader Cassidy, pionnier de la production, qui lui fait enregistrer sa première cassette qui obtiendra un vif succès. Propulsé ainsi sur les devants de la scène, Houari, qui ne s’est jamais encombré de la particule « cheb », se met à écrire ses propres chansons, dont la plupart seront pillées par ses concurrents directs.
Ce qui le distingue de ses « coreligionnaires », c’est sa touche romantique, sa manière de planter le décor et de redessiner la carte du tendre. Fin mélodiste et auteur de superbes balades, il est le créateur de l’école “rai love” que le regretté Cheb Hasni saura transformer en genre à part entière.

Son pote El Hindi, surnommé ainsi pour son amour immodéré des films bollywoodiens, a chanté au sein des scouts avant d’enregistrer une vingtaine de K7 au succès confidentiel avant de triompher avec « A moi la liberté ». Ils font parfois équipe avec le regretté Cheb Tahar, à la fois vocaliste et danseur extraordinaire, ce qui donnait à ses apparitions un côté spectaculaire. Tout comme dans le cas de Mohamed Sghir le bambin coaché par un père célèbre, Mohamed Belarbi, batteur et percussionniste de génie, est par ailleurs auteur de textes poétiques qu’il saura mettre en valeur grâce à la voix de falsetto de son fils.
Cheb Hamouda, adepte du reggae, compte à son actif cinq enregistrements, dont le dernier remonte à 1991, sans avoir fait de plan de carrière, tout comme le rarissime Tchier Abdelghani. Leurs pendants féminins, à l’image de Chaba Amel, au timbre aussi entêtant qu’un parfum de jasmin et de la captivante Malika Meddah, excellente cavalière, comédienne de théâtre et ex-universitaire, ont eu un parcours plus chanceux. Et que dire des non-oranais : Cheb Djalal, natif de Sebdou (région de Tlemcen) au style mélangeant populaire marocain (introduction du luth) et raï façon Rachid et Fethi, ses producteurs initiaux issus de la même région ; Rostane Benali, arrangeur de Cheb Hasni ou Khaled, et ici du fan de ce dernier : Khaled Sghir (belle apparition dans le clip « Chaba » du roi du raï), né en 1965 à Alger ; et surtout le magnifique Nordine Staïfi (1956 – 1989), établi jusqu’à sa disparition à Chambéry, promoteur du « staïfi », sorte de compromis entre airs des Hauts-Plateaux de l’Est algérien, rythmes chaloupés des Aurès et groove oranais. Le Franco-marocain Cheb Kader, quant à lui, après un premier opus, « Awama » (L’ensorceleuse), d’où est extrait « Reggae-Raï », a connu un engouement international au cours des années 1990.
Aujourd’hui, comme en témoigne ce disque, voilà du raï qui fait encore et toujours aimer le raï.

Rabah Mezouane.

V/A - A MOI LA LIBERTE: EARLY ELECTRONIC RAI ALGERIE 1983-1990 - LP

25,00

En stock